L’infiniment précis et l’infiniment aléatoire


Comme il y a deux faces sur sa carte de visite, l’une indiquant sa profession de typographiste, l’autre celle d’artiste, Olivier Umecker a deux bibliothèques chez lui. Les univers sont bien séparés, comme les deux facettes de son travail. En apparence du moins. La cohérence est ailleurs. Une histoire de formes et de couleurs, de vide et de plein. Mais, tout part toujours d’une page blanche…


Au fond, c’est peut-être sa bibliothèque qui parle le mieux de lui. Ou plutôt ses bibliothèques. L’une, dans son bureau à l’étage, dédiée au graphisme dans tous ses états. L’autre, au rez-de-chaussée, à portée de vue d’un jardin qui lui ressemble aussi, précis et foisonnant. Ici, c’est la version arts en tous genres, des beaux livres comme on dit mais pas de ceux qui traînent sur les tables basses des magazines de décoration. On le sait, on le sent, ils ont été lus et relus. «Je suis tout le temps en train de regarder des livres. J’alimente mon oeil» reconnaît Olivier Umecker. Ses yeux donc ont faim d’images, de couleurs, de textures. Ils ne se fatiguent pas facilement

Olivier Umecker a commencé par une formation dans les métiers des industries graphiques. Un cursus solide mais, déjà, une frustration. Au-delà de la technique, l’étudiant a besoin de nourrir un côté créatif que ce cursus a laissé un peu en friche. «Etudiant, j’achetais beaucoup de bouquins de graphisme, notamment aux USA. A l’époque, il y avait une vraie culture graphique là-bas, une variété beaucoup plus riche qu’en France». Déjà ce besoin de soigner son œil et l’ébauche de la bibliothèque aujourd’hui à l’étage. 


Toujours pensé, jamais gratuit

L’école des Arts Décoratifs de Strasbourg lui permettra d’aller plus loin. Ce n’était pourtant pas gagné d’avance car, comme il aime à le dire, «je ne sais pas dessiner». C’est ailleurs qu’il tracera sa voie, dans le petit monde de la typographie où il se prend à triturer des polices de caractère un brin trop sages pour lui. On est dans l’infiniment petit, le parfaitement précis, il y excelle. L’affaire va tellement le passionner qu’on le retrouve lauréat de plusieurs concours typographique. Oui, il y a des concours du genre et on est là dans un petit monde d’initiés qui sculptent les formes pour servir le fond et c’est encore mieux si on ne s’en rend pas vraiment compte. Le choix est là, toujours pensé, jamais gratuit. 

Avoir terminé ses études sur un mémoire s’intéressant aux signes graphiques dans la France de la seconde guerre mondiale marque également un parcours. Olivier Umecker est typographiste mais aussi historien de la typographie. C’est plutôt rare. Pas étonnant dès lors qu’il se soit spécialisé dans l’édition de livres, principalement historiques même s’il s’autorise quelques détours sur d’autres terres. Idéalement, il aime quand tout est à faire, et notamment concevoir l’ouvrage de manière globale avec l’auteur ou l’éditeur. Se contenter de remplir des pages de texte et d’images, très peu pour lui. Ses réalisations parlent pour lui. Des ouvrages plutôt pointus, incontestablement très soignés, de la belle ouvrage comme on dit. 


Il y a de l’inattendu ici

C’est un Olivier Umecker, et c’est une chance Il y en a aussi un autre. Celui qui vous regarde un peu perplexe quand vous lui demandez comment sont rangés les livres d’art qui ont envahi tout un mur et n’attendent que d’être à nouveau feuilletés derrière les vitres de la belle bibliothèque. «Rangés? Disons que je sais où ils sont. Je pense que je les repère vraiment à l’œil». Il ne les a triés, ni par style, ni par époque. Vu que ses trésors recouvrent à peu près tout ce que la peinture, le dessin, l’illustration, un peu de sculpture et de céramique aussi ont fait vivre, c’est finalement un rangement comme un autre. Il dit une curiosité jamais vraiment rassasiée, une vrai liberté surtout. C’est peut-être elle qui guide la main de l’autre Olivier, celui qui peint à longueur de feuilles blanches de tous formats. Du petit au plus grand, et encore si les pinceaux lui permettaient un geste encore plus ample, sûr qu’il pourrait repousser encore les limites. 

Pour parler de sa peinture il fait le lien entre le travail du typographiste et son «rapport entre le plein et le vide car la police de caractère a besoin de fonctionner avec du vide autour d’elle. Ma peinture, ce sont aussi des à-plats de couleurs, qui fonctionnent avec mon support qui, lui est blanc». Toujours. «Quel que soit le projet, je démarre toujours sur une page blanche. Elle ne disparaît jamais totalement». Se joue alors un subtil équilibre entre les formes et les couleurs et ce vide qui n’en est pas tout à fait un. «J’établis des niveaux de lecture de formes et de couleurs mais je ne conceptualise jamais avant. Je prends une couleur, je la jette sur la feuille et, à partir de là, l’œuvre va se créer». 

Parfois, elle peut reposer quelques mois, et il revient. Parfois, les premiers gestes sont définitifs. «Il n’y a pas de règle». Il arrive même qu’Olivier Umecker déchire le papier pour lieux le recoller. C’est ce qui est arrivé à toute sa production de l’année 2017. «Ça ne marchait pas. Je l’ai recomposée à partir de ces morceaux». Des collages que l’on a pu découvrir à la Plus Petite Galerie du Monde (ou Presque), à Roubaix, en décembre 2020. 

Pas bien loin de la bibliothèque, de grands rouleaux de papier rappellent cette autre exposition, avec Bruno Desplanques, dans le cadre de Lille Design. «Un travail très physique avec des grands formats» qui obligent à d’autres gestes que les petites peintures qui sont comme un éphéméride, reflet d’une production intense. Il y a de l’inattendu ici. Ça coule et ça ruisselle. Ça tient dans les formes et s’en échappe quand il le faut. Entre le travail du typographiste et l’œuvre du peintre, les langages se répondent. L’infiniment précis et l’infiniment aléatoire. De quoi constituer une écriture protéiforme qui nous chuchote que l’un ne va pas sans l’autre et que c’est bien ainsi. 

                           

Olivier Umecker est également enseignant en graphisme et typographie, spécialisé dans l’histoire de la typographie. Graphiste indépendant depuis plus de 20 ans, il travaille principalement pour l’édition et le milieu culturel. Ses peintures ont été exposées en Chine, à Paris, et à Roubaix. 


 Florence Traullé

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